Le mouvement social est déjà là : pour sa coordination autogestionnaire

S’il est courant en France de parler de mouvement social lorsque les centrales syndicales le « décrètent » (soi-disant), l’expérience nous a montré (s’il était encore besoin), qu’elles jouent en réalité la carte de la temporisation dans un rôle assumé de soupape de la colère populaire. Lorsque des « journées d’action » débordent dans un mouvement solide, général et durable au rythme d’Assemblées Générales et d’actions régulières animées par la base des grévistes eux-mêmes, ce ne sont pas les Centrales qui l’impulsent. Au contraire, ce sont elles qui sont bien forcées de suivre l’élan du mouvement populaire pour ne pas en perdre l’influence. Ce qui a été encore le cas lors des dernières grandes convergences des luttes sociales passées (automne 2010, automne 2007, printemps 2006, printemps 2005, etc.), et ce qui sera encore le cas dans celles à venir.

Il est désormais un enjeu pour le mouvement populaire de se réapproprier sa force réelle, ne serait-ce que dans les esprits. C’est-à-dire de considérer ce qu’est réellement le mouvement social.
Car non, le mouvement social n’est pas la bataille qui simule une confrontation entre Gouvernement, MEDEF et Centrales [syndicales] sur un plan médiatique.
L’enjeu de sa force n’est pas non plus dépendant des querelles politiciennes et des représentations politiciennes, que ce soit sur la scène médiatique ou non.
Ladite « opinion publique » ainsi que les « sondages » sont et demeurent des armes fabriquées de toute pièce du pouvoir étatique et patronal, sans aucune consistance réelle.

A partir de là, nous pouvons reconsidérer ce que désigne réellement le mouvement social, à savoir (a) l’ensemble des luttes, des formes et des objectifs variés de ces luttes, quelque soient leur échelle d’action et d’influence ; (b) de l’ensemble des luttes dans leur entière diversité d’impulsions, animées par le souci commun d’émancipation sociale ; (c) et qui ont conscience que la convergence de ces luttes, tant sur leurs formes que sur leurs objectifs, est l’arme populaire la plus redoutable. Seule de cette recherche assumée de convergence se créent solidarité, détermination et auto-organisation.

Autrement dit, relèvent du mouvement social tant les luttes salariales localisées dans des petites ou grosses entreprises que les luttes LGBT, les luttes des sans-papier-e-s, des migrant-e-s et réfugié-e-s, les luttes antifascistes et antiracistes, anticolonialistes et anti-impérialistes ; les luttes des travailleur-se-s comme des chômeur-se-s, des travailleur-se-s en CDI comme des travailleur-se-s précaires, les luttes pour un toit comme les luttes pour l’égalité des salaires hommes-femmes, les luttes étudiantes-lycéennes comme celles des non-diplômé-e-s, les luttes de SDF comme les luttes syndicales, luttes « environnementales » locales comme celles « altermondialistes », etc. Souligner ceci permet à la fois de briser les étiquettes médiatiques collées à chaque combat qui suscite leur séparation et de respecter leur singularité. Aussi, chaque lutte n’est pas particulière et fatalement vouée à son isolement, elle est au contraire toujours singulière et de fait simultanément reliée à toutes les autres. Une lutte particulière entraîne résignation et désespoir, croulant sous le poids de l’appareil répressif de l’ordre capitaliste. Tandis qu’une lutte en fait singulière, cherche à se renforcer à partir d’elle-même et des autres, toujours-déjà partie active d’un mouvement social global qui ne meurt jamais.

Nous insistons pour dire que la convergence n’est pas un vain mot « utopique », « théorique » ou « conceptuel », une interprétation qui doit venir d’en haut (que ce soit par des représentations abstraites englobantes ou par des instances médiatiques) mais une réalité par « en bas », c’est-à-dire par la combativité de chacun-e qui lutte de manière effective dans son lieu de travail et son lieu de vie, pour améliorer son quotidien de quelque manière et selon les enjeux et moyens qu’il-le considère propre. A chacun-e, de considérer dans toute lutte actuellement effective un renforcement de la sienne propre. Par exemple des travailleur-se-s qui se mettent en grève pour améliorer leurs conditions de travail ou obtenir une augmentation de salaire, sont toujours-déjà lié-e-s comme lutte singulière avec une grève de la faim de réfugié-e-s sans-papier-e-s ou d’une marche LGBT, autant d’autres luttes singulières. Cette transversalité des objectifs de lutte permet d’élargir les possibilités de moyens d’action, qui diffèrent pour chaque combat singulier. Cette solidarité entraîne la convergence concrète et pratique.

Lorsque l’on constate la désintégration actuelle des bases collectives des luttes d’émancipation sociale et politique, par l’effort conjoint des gouvernements successifs, des médias, du MEDEF et des Centrales, qui entraînent l’isolement et l’écrasement de chaque lutte ou grève localisée malgré toute leur détermination, il nous semble urgent d’y remédier pratiquement.

De fait, il est essentiel de promouvoir les « connexions » horizontales entre chaque lutte effective, par des outils qui existent déjà ou qui sont à renforcer et développer : auto-médias, comités de soutien, réseaux sociaux, caisses financières, etc.

Ainsi le mouvement social ne meurt jamais, et toute lutte actuelle effective n’est que la partie active de ce mouvement social, qui désigne la société populaire en sédition avec l’ordre capitaliste. L’ordre capitaliste, appuyé par l’Etat et le Capital, n’est pas la société, il en est la négation.

Dans cette optique, nous pouvons enfin cesser d’être réactifs et défensifs, pour enfin élargir notre horizon de combat. Il s’agit de voir plus vite et plus loin à la fois, de donner de l’ambition et un horizon à notre force d’émancipation sociale. Ainsi, le mouvement populaire est davantage que son propre « projet politique de société », il est la société réelle en marche pour sa libération et son émancipation de l’ordre capitaliste.

Réapproprions-nous notre langage, nos outils d’analyse, nos relais de communication horizontaux, faisons sécession du Grand Média, cette arme patronale parmi les plus terrible. Pour que la peur puisse changer de camp, il faut avant tout retrouver notre propre confiance en nous-mêmes, en notre capacité à nous auto-organiser et à coordonner nos moyens d’action.

Dès lors, libérer la société de l’ordre capitaliste, ou plutôt du Désordre Capitaliste,
c’est libérer le travail du salariat,
c’est libérer l’instruction de l’éducation,
c’est libérer la santé et la communication des institutions privées et de profit, c’est libérer la rue de la consommation spectaculaire pour la retrouver comme Agora populaire permanente,
c’est libérer nos habitats des propriétaires et de leurs loyers,
c’est libérer toutes les facettes de nos vies du virus de la propriété privée,
c’est libérer les rapports humains de l’hyper-sexualisation consommatoire,
c’est libérer les quartiers de leur ghettoïsation,
c’est libérer les petits commerces et artisans du diktat des grandes chaînes privées,
c’est libérer nos vies du temps accéléré de l’ordre capitaliste où nous sommes esclaves des horloges du Profit dans sa course à lui-même,
c’est nous libérer de nos peurs fabriquées par la propagande bourgeoise qui nous divisent entre pauvres,
c’est nous libérer du poids de l’endoctrinement sexiste, raciste et euro-centré,
c’est nous libérer du chantage des Etats occidentaux à nous faire collaborer au massacre impérialiste continu des terres et des peuples non-occidentaux,
c’est libérer notre besoin de fêtes et de joies collectives de l’apparence et de la mode mercantile,
c’est libérer nos villes et nos vies de tous les instruments de pouvoir au service de l’ordre capitaliste : préfectures, bureaucratie, vidéo-surveillance, police.

Ne nous y trompons pas, à l’heure du renforcement de toutes les propagandes d’extrême-droite et de leurs conséquences désastreuses dans nos réalités quotidiennes, ce n’est qu’en renforçant nos complicités qui se tissent au sein des luttes d’émancipation sociale que nous pourrons résister au chantage de la menace fasciste brandit par l’Etat et le Capital, le gouvernement et le MEDEF. Clamons-le partout : le mouvement populaire n’est pas assez stupide, comme les capitalistes le sous-tendent en permanence, pour se laisser absorber dans les brigades fascisantes de toutes sortes. Car la menace fasciste ne désigne que cela : briser et anéantir le mouvement social, étouffer la société par une mainmise totalitaire et absolue de l’ordre capitaliste sur ce qui reste de collectif dans nos vies.
Le mouvement social est déjà là, et partout, les grèves localisées sont nombreuses et répétées, dans tous les secteurs de travail, ainsi que les combats contre les chantages de la bourgeoisie pour appauvrir nos vies (du nucléaire à la gentrification). Autrement dit, ce que nous appelons communément « mouvement social » en sens qu’il est représenté médiatiquement (ou pas) désigne en fait le moment où les différentes luttes localisées convergent de manière pratique pour en faire un combat uni et global. Si très souvent cela survient autour d’une revendication unique et exclusive (contre le CPE, une réforme x ou y), c’est-à-dire par une réaction défensive, il est temps de considérer qu’une telle convergence puisse émaner de la coordination offensive de toutes les luttes singulières.

Dès lors, les bases syndicales s’émanciperaient du pouvoir des Centrales, les acteurs et actrices de chaque lutte ne se soucieront plus de la représentation médiatique et politicienne, et la rue sera le seul endroit de rencontre et d’enjeu. De la réappropriation à l’expropriation, il n’y a qu’un pas. De l’indignation à l’insurrection, il n’y a qu’un pas. Ainsi nous pouvons nous rendre capables d’une auto-organisation communale, et d’ « occuper » la ville, de défaire toutes les manœuvres répressives (préfectorales, policière, syndicales -des Centrales-, médiatiques, etc.). Autrement dit, de libérer nos lieux de vie et de travail de l’ordre capitaliste. Qui apparaît comme ce qu’il est de fait : le Désordre Capitaliste qui broie nos vies où tout fonctionne à l’envers.

Comment renforcer le mouvement social ? Comment aider à la coordination autogestionnaire du mouvement populaire ? Reprenons les mots de Gramsci :

Instruisez-vous,
Parce que nous aurons besoin de toute votre intelligence.
Agitez-vous,
Parce que nous aurons besoin de tout votre enthousiasme.
Organisez-vous,
Parce que nous aurons besoin de toute votre force.

L’heure n’est plus à l’indignation, mais à l’insurrection. S’insurger, c’est refuser de se résigner à sa condition existante et d’en oublier les causes, en cela refuser d’oublier sa vie et de la perdre à la gagner. S’insurger, c’est faire de sa vie son propre enjeu, donc de transformer les conditions collectives d’existence à chacun-e. C’est être autodidacte de soi-même, se réapproprier notre temporalité de vie affective au rythme de nos luttes et briser le chantage de l’Instant Rentable. S’insurger, c’est lire, battre le pavé, barricader une rue, occuper un lieu de travail. S’insurger, c’est refuser l’échec collectif.

Si déjà dans un secteur de travail particulier, la concurrence et la compétition entre les différents services sont effectivement asphyxiantes et mortifères (si ce n’est mortelles), et de manière générale la concurrence et compétition entre chaque individu-e, nous mesurons l’ampleur de la tâche. Pourtant, nous connaissons par instinct et depuis nos tripes comment aller au-delà du Désordre Capitaliste : par les Assemblées Populaires, les Comités de Quartiers, les Forums de convergence, les Indymedia, les Maisons de la Grève, qui nous autonomisent de leurs Partis et de leur Représentations.
Nous ne nous connaissons de démocratie que directe et radicale.

La sédition avec leur monde, leur logique, leur spectacle doit être radicale. Nous ne sommes pas envieux de leur opulence mais distinguons au contraire la richesse que nous avons créée et qu’ils nous ont confisqué.
Entrons en guerre contre leur monde, le mouvement social et populaire doit assumer la guerre que le Désordre Capitaliste lui inflige chaque jour en tout lieu. Ne faisons plus de compromis avec l’ennemi. Soyons à la hauteur de notre force réelle : insurgeons-nous !

Tout est à nous,
Rien n’est à eux.

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